2007/10/21

Snow (Orhan Pamuk)

LE FLOCON MALAISE

Le temps s'est arrêté sur le petit village de Kars. Avec lui, un poète en quête d'amour et d'inspiration.

Sous cette bulle coupée du monde mais au carrefour des civilisations, la neige ne cesse de tomber. Mais Kars n'est pas de ces bibelots souvenirs que l'on oublie dans un placard : de toutes parts des mains l'agitent pour que la danse des flocons se prolonge. Pris dans le tourbillon, Ka se trouve balancé aux quatre coins de ce décor de théâtre, croisant tous les acteurs d'une Turquie déchirée. Chacun campe son rôle et connait son texte, mais personne n'ose réellement se dévoiler... Le geste peut coûter cher dans la région.

SM 2004


"Snow" Orhan Pamuk ("Neige" en VF).

Stephane's Little Shop of Errors

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Maus - A Survivor's Tale (Art Spiegelman)

L'un des meilleurs ouvrages sur la Shoah, et l'un des plus efficaces. Au-dela, un voyage aux limites de l'homme, là où il se révèle le plus humain ou le plus animal.

"Maus" est le récit de l'écriture de "Maus" : un fils recueille le témoignage de son père, un survivant (peut-on dire qu'il ait vraiment survécu ?) d'Auschwitz.

Dans ce récit sans fard (mais parfois derrière un masque), aucune liberté n'est prise avec la réalite des faits et des sentiments. Aucune marge de manoeuvre n'est laissée à l'interprétation et donc à la réécriture de cette histoire et de l'Histoire.

"Maus" est une bande dessinée où les humains ont des visages d'animaux en fonction de leur origine. Loin de nuire à la crédibilité du propos, cette technique la renforce et nous conduit à l'essentiel.

Dès sa publication, un classique de la litterature.

SM

Maus - A Survivor's Tale : My Father Bleeds History and Here My Troubles Began (Art Spiegelman) - également disponible en VF : L'Intégrale, Maus : un survivant raconte

Watchmen (Alan Moore - Dave Gibbons)

FRAPPES CHIRURGICALES ET HOMMAGES COLLATERAUX

Ne vous y trompez pas : indépendamment du registre employé (comic book), vous avez ici affaire à une oeuvre majeure qui marque un saut décisif dans l'écriture de la BD ; l'acte de naissance de la "graphic novel". Si Alan Moore signe ici son chef d'oeuvre à date (oui, From Hell demeure en retrait), il le doit en grande partie à Gibbons, dont la justesse du trait sert merveilleusement un découpage minutieux. Chaque vignette a du sens, chaque transition est calibrée.

Ce n'est plus de la BD, ce n'est plus du roman, ce n'est plus du cinéma, ce n'est plus de la presse écrite ou audiovisuelle, et pourtant Watchmen emprunte à chacun de ces media.Dans cette tragédie à la fois très classique et diablement moderne, l'univers des super-heros fait l'objet d'un hommage autrement plus subtil que dans "Supreme", chaque personnage créant une catégorie inédite tout en assumant l'héritage des "anciens" (n'y aurait-il pas un peu d'Angel dans Veidt ?). Moore et Gibbons donnent ainsi naissance à une pléiade d'exception et projettent judicieusement Rorschach et Manhattan au-delà des normes de l'humain et du trop humain pour mieux exposer nos faiblesses.

SM2003

Fictions (Jorge Luis Borges)

Si le mot "fictions" a un sens, c'est plus dans ces quelques lumineuses pages que dans les sinistres pavés sous lesquels nos plages s'emmazoutent l'été. Je me demande parfois si le divin bibliothéquaire ne s'est pas réincarné dans le oueurldouaïde ouaibe... mais jamais ce dernier, en dépit de sa fulgurance et de sa foisonnance, ne parviendra à émuler ces innombrables jeux de (fausses) pistes, à renouveler cette prodigieuse dynamique neuronale.

Avec "Tlön, Uqbar, Orbis Tertius", Borgès nous livre quelques pages dégoulinant d'intelligence pure. Méfiez-vous en comme de la peste : par contagion, elles risquent de transformer vos étagères en un univers incertain, en permanente évolution. Et d'anéantir l'alignement parfait de vos romans préformatés.

Et surtout, dégustez ces "fictions" comme autant de preuves du génie de la littérature.

SM2003

Peut-on rire de la mort ?

Si je n'ai pas à proprement parler de maître à penser, Pierre Desproges est le philosophe que je respecte le plus. Sa plume brillante et sa certitude d'être au-dessus du lot le rapprochent d'un Nietzche, avec en prime l'humour (il en faut pour porter ces initiales et ce bouton au-milieu du front) et une profonde affection pour ses congénères. Un savoir-vivre au sens fort, de celui qui se sait mortel.
Je vous invite a vous (re)plonger dans son oeuvre. "Fonds de tiroir" n'en est certes pas le fleuron, mais vous trouverez ci-dessous un article que j'ai publié à l'occasion de sa parution (in "Synchro - Le magazine de l'ESSEC" n°12 - avril-mai 1990).

Stephane MOT 1990 et 2003


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PEUT-ON RIRE DE LA MORT ?

On dirait que c'était rien que pour de rire. Fierrot le Pou mort "d'une courte maladie rigolote", la bonne blague.



Il y a deux ans s'est éteint le plus grand auteur tragique francais d'après-guerre. Car si l'auteur tragique se caractérise par une conscience aigüe de sa propre mort, Pierre Desproges dépasse de plusieurs longueurs bon nombre d'écrivaillons persuadés d'être sérieux (certains se croient immortels, c'est tout dire...).

Ordoncques Monsieur Cyclopède nous offre quelques minutes nécessaires (mais ô combien insuffisantes) en rab. Post mortem. Par pudeur sans doute : "si c'est les meilleurs qui partent les premiers alors que penser des éjaculateurs précoces ?".

Bien sur il a fallu racler les "Fonds de tiroir". Bien sur, ça sent le réchauffé. Mais avec toutes les monstruosités qu'il a sorties de son vivant, Pierre Desproges ne pouvait décemment prétendre à autre chose qu'aux flammes de l'enfer.

Qu'est-ce qu'un type comme lui irait faire, du reste, dans un Paradis si tristounet ? "Le sabre dans une main, le goupillon dans l'autre, Jeanne d'Arc sut brandir jusqu'à la mort deux symboles phalliques pour proteger à jamais la fleur imprenable qui se fanait dans sa culotte d'acier trempé" (NDLR : l'acier, je précise).

Le bougre n'avait-il pas annoncé : "je résiste à la tentation de m'asseoir à la droite de Dieu de peur que ça soit bon. C'est par morale chrétienne." Alors quitte à se retrouver chez Satan, autant le mériter. Les (auto)portraits qu'il nous inflige sont sans concession : "c'est à cela que l'on reconnait les communistes : ils sont fous, possédés par le diable, ils mangent les enfants et en plus, ils manquent d'objectivité"...L'ultime cruauté de notre bouffon tragique aura donc été de nous distiller ce dernier recueil amer, histoire de se faire encore plus regretter. Y'en a un qui doit bien se marrer, en savourant avec Belzebuth un bon Bordeaux de derrière (et sur) les fagots.

Mets ta stase, Pierre : tu vas prendre froid.

Stephane MOT

Pierre Desproges "Fonds de tiroir" (Seuil) 69 (!) F